13/04/2016, Le monde
Créés pour dynamiser les applications de la recherche en santé, les six instituts hospitalo-universitaires (IHU) français ont fait la preuve de leurs premiers succès à mi-parcours.
Leurs chevilles auraient pu enfler le 6 avril. Leur «capacité à repousser sans cesse l’horizon des possibles» a été saluée par la ministre de la santé, Marisol Touraine. Ils sont «un très grand sujet de fierté» pour Louis Schweitzer, commissaire général à l’investissement. Quant au président François Hollande, il les a qualifiés de «modèles pour la recherche en France», un «pari pleinement réussi». Ceux qui étaient ainsi honorés sont les responsables des centres consacrés à l’innovation en santé. Au nombre de six, ces établissements sont les instituts hospitalo-universitaires, ou IHU. «Ils sont nés d’un constat: en France, la créativité de la recherche est extraordinaire, mais ses découvertes sont rarement traduites en progrès médical», explique Jacques Marescaux, chirurgien. Créés en avril 2011 sous la présidence M. Sarkozy, ces six IHU sont les fers de lance des investissements d’avenir, financés par le grand emprunt. Leur dotation globale est de 850 millions d’euros sur dix ans. Leur force: rassembler des équipes de recherche, de soins et de valorisation autour des patients, au sein des CHU. Un trinôme créant de puissantes synergies.
Cette journée fut d’abord l’occasion de rappeler le verdict du jury international qui a évalué ces six IHU, en décembre 2015: «les résultats ont dé passé les projections initiales», tant en termes de qualité des recherches que de potentiel de valorisation industrielle. «Entre 2012 et 2014, vos IHU ont été à l’origine de plus de 7500 publications scientifiques, dont plus de 300 dans le top 10 des revues les plus prestigieuses. Vous avez développé avec vos partenaires privés plus de 700 projets de R&D et conduit plus de 1200 essais cliniques », a résumé Marisol Touraine.
Mais les difficultés n’ont pas été occultées. La première tient à la coopé ration entre les partenaires institutionnels. Des tensions ont ainsi pu naître sur la question délicate du partage des retombées liées à la valorisation des découvertes. Le financement privé de ces IHU, par ailleurs, n’est pas toujours à la hauteur des espérances. De plus, «c’est presque décevant de voir qu’une vingtaine de startup seulement ont été créées en cinq ans», estime Bernard Gilly, président d’iBionext, un accélérateur de startup.
Quatre ou cinq de ces IHU font figure de fleurons dans leur discipline, comme l’IHU MIX-Surg, dirigé par Jacques Marescaux, à Strasbourg. C’est ici que sont forgées de nouvelles générations d’outils de chirurgie miniinvasives. «Il s’agit d’imaginer le traitement des tumeurs de demain, notamment digestives», résume-t-il. Cet IHU développe aussi des outils de télétransmission pour raccourcir les délais de diagnostic. Ou encore, des patchs connectés pour suivre les patients chez eux, après l’opération. «L’attractivité vis à vis des industriels est un bénéfice immense. Il y a un effet levier: pour un euro financé par l’Etat, notre IHU a levé 4 euros.» Les géants Siemens, Storz, Olympus ont ainsi investi dans les blocs opératoires de cet IHU, qui seront ouverts à l’automne.
Un deuxième IHU, à Marseille, se consacre aux maladies infectieuses. «L’IHU nous a donné une liberté. Regardez ce que nous pesons, et laissez-nous travailler!», s’est écrié Didier Raoult, directeur de l’IHU Méditerranée Infections: «Nous avons identifié plus de 20% des microbes infectant notre espèce, et notre approche bouleverse la classification des virus.» Grâce à une prise en charge «fusionnelle, entre infectiologues et chirurgiens cardiaques», son IHU a mis en place un circuit standardisé de prise en charge des endocardites. «Ce circuit diminue de moitié la mortalité liée à ces infections du muscle cardiaque.»
Un troisième IHU, à l’hôpital Necker (APHP, Paris), lutte contre les 9000 maladies génétiques connues. C’est l’institut Imagine, qui sera dirigé par Stanislas Lyonnet en juillet. Son combat: identifier les gènes et les mécanismes de ces maladies, de nouvelles cibles ou approches thérapeutiques. Et accélérer le diagnostic. En juin2015, une biotech américaine, Alexion, a ouvert ici son premier centre de R&D hors Etats-Unis. Cet IHU a aussi créé un master de bio-entrepreneuriat avec l’X et HEC.
Un quatrième IHU, à Bordeaux, est consacré aux troubles du rythme cardiaque. «La mort subite, c’est 50000 décès par an en France: elle résulte d’une tornade électrique dans le cœur, qui tue 97 % des personnes touchées», relève Michel Haïssaguerre, directeur de l’IHU Liryc. Son institut cherche à identifier les sources de cet emballement électrique «pour traiter, mais surtout pour prévenir». En partenariat avec une biotech américaine, CardioInsight (rachetée en2015 par Medtronic), il développe une veste munie de centaines d’électrodes, pour des électrocardiogrammes de très haute précision. Avec l’espoir, à terme, de dépister les personnes à risque.
A l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, c’est le défi de la complexité des maladies du système nerveux qui mobilise l’IHU AICM, dirigé par Alexis Brice, à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière. «C’est un travail de long terme, une recherche très en amont.» Cinq ou six start-up sont nées ici. Une autre startup hébergée là, Bioserenity, développe un vêtement intelligent pour enregistrer l’activité électrique du cerveau de patients atteints d’épilepsie, en ambulatoire. Quant aux maladies du métabolisme, elles intéressent l’IHU ICAN dirigé par Karine Clément, à la Pitié. «Les patients doivent être placés au cœur du système, avec leur parcours, en lien avec leur environnement.»
Mais un suspense planait, ce 6 avril: les pouvoirs publics allaient-ils annoncer une pérennisation du financement de ces structures, après décembre 2020? Ce sera oui, même si les modalités de ce financement restent à définir. Le président Hollande l’a souligné: «Pour nous, [ces IHU sont] une priorité.»